Présentation
Le Rite Écossais Rectifié occupe une place singulière dans l’histoire de la franc-maçonnerie. Il se situe sur le fil d’une tradition, qui prend sa source dans la doctrine des Pères de l’Église et aspirera, par-delà les influences et les étapes historiques de sa formation, à la manifestation d’un « christianisme primitif », qui s’imposera à l’esprit de la Doctrine Rectifiée comme la matrice de toutes les églises visibles et invisibles : un christianisme d’avant toute forme historique, que les Illuministes exalteront, au 18ème siècle, en réaction à l’esprit des Lumières, et justement pour éclairer, de sa lumière native propre, cette version temporelle de l’Église de Pierre, désormais frappée d’obscurantisme, sous les coups implacables que lui infligera la modernité philosophique. Exaltation à la Vraie Lumière, véhicule mystique de cette énigmatique « Église invisible », le Régime Rectifié apparaît, sous la figure tutélaire de Phaleg, comme une authentique voie de libération de l’être, depuis les impasses du monde où se heurtent nos pauvres certitudes.
Ce qui est proposé ici au lecteur n’est pas un livre d’histoire sur le Rite Écossais Rectifié, plutôt un regard philosophique sur l’essence du Régime qui l’abrite : le regard d’un « observant » dans sa pratique rituelle et sur le fil d’un itinéraire qu’il assume et revendique comme le sien. De cette expérience spirituelle, qui dure depuis plus de vingt ans, il a tenté de cerner ce qu’il nomme « l’esprit rectifié », à l’origine d’une démarche dont la finalité est strictement sotériologique.
Patrick Rodner est professeur agrégé de philosophie à Limoges, où il enseigne par ailleurs l’éthique et l’anthropologie dans le supérieur. Comme Joseph de Maistre, dont il est un lecteur assidu, il appartient à l’Ordre des CBCS.
Titre : L'esprit rectifié
Auteur : Patrick Rodner
Nb. pages: 212 pages
N° ISBN : 978-2-36353-129-2
Prix public : 21,90€
Poids : 310 g.
N°ISBN/ePub : N.A
Date édition : disponible - tirage limité
Entretien avec l'auteur
Patrick Rodner, qui êtes-vous et comment décririez-vous votre parcours intellectuel ?
J’enseigne la philosophie depuis plus de 30 ans, mais je suis entré en philosophie par la théologie et en théologie par la fascination du langage mathématique. Cela peut paraître étrange, d’autant que je considère aussi la poésie comme une des voies d’accès à la vérité. Bref, rien de ce qui est langage ne m’est indifférent, « des profondeurs de la musique aux sommets de l’algèbre », comme disait le philosophe Alain. Je crois que c’est ce mystère du langage qui m’a poussé sur la voie du symbole.
Justement, vous êtes philosophe de formation et comme tel vous devez adopter une approche rationnelle des problèmes. Comment conciliez-vous cette exigence de rigueur avec les contours souvent irrationnels de la voie symbolique ?
C’est sur l’équivoque et l’ambiguïté du terme « irrationnel » que pèche votre question, car le plan symbolique n’est pas irrationnel du fait qu’il contreviendrait à la raison, mais seulement parce qu’il échappe au mouvement de déduction rationnelle, qui caractérise l’esprit d’analyse en occident, et cela depuis Platon. Or, les fondements mêmes des vérités déductives de la mathématique sont irrationnels, en ce sens qu’ils sont des vérités premières et indémontrables, des vérités intuitives. L’irrationnalité de la voie symbolique n’est pas confusion, mais approche intuitive d’un ordre de vérités supérieures et inaccessible à la seule raison. C’est pourquoi la foi est une vertu à exercer là où la raison trouve sa limite, je n’ai de cesse de le dire. C’est le grand philosophe allemand Emmanuel Kant qui l’affirmait, c’est une belle caution, non ? Alors, oui, parallèlement à mon exercice de la philosophie, je pratique, depuis plus de vingt ans, un rite maçonnique d’inspiration chrétienne, le Rite Écossais Rectifié, qui n’a rien d’une fantaisie, mais qui constitue une voie privilégiée d’accès à la vérité. La chose n’est pas simple, mais mon livre est assez clair là-dessus, je crois. Il indiquera au lecteur l’orientation qu’il lui faudra prendre pour parvenir à cette réalisation spirituelle. C’est un état d’esprit, plus qu’un ensemble de recettes, qui en constitue la matière. C’est pourquoi, je l’ai intitulé « L’esprit rectifié », en jouant ici évidemment sur le double sens de l’adjectif, s’agissant de cette « réorientation » préalable à toute démarche spirituelle.
Eh bien là, Patrick Rodner, vous me tendez la perche, car la question me brûlait les lèvres : pourquoi un énième livre sur le Rite Écossais Rectifié ? Tout n’a-t-il pas été dit sur ce rite mystérieux et ne craignez-vous pas la concurrence ?
Le Rite Écossais Rectifié est le seul de toute la tradition maçonnique qui soit adossé à une doctrine métaphysique d’une très grande profondeur (tous les observants de la maçonnerie rectifiée sont unanimes sur ce point), c’est pourquoi je ne pense pas que tout ait été dit sur ce rite. Nombre d’interprétations de la doctrine willermozienne sont encore à venir, assurément. Toutefois, j’aimerais dire que mon livre ne vient pas se surajouter aux autres, il aura cherché à entrevoir le Régime Rectifié d’un point de vue tout à fait inédit, puisqu’il ne s’en tient pas à la lettre des rituels (ou alors de façon très parcimonieuse), mais tente de positionner l’observant dans une ouverture spirituelle qui le disposera par la suite à comprendre de l’intérieur les différentes étapes de sa progression dans le Rite. Alors, je ne sais pas si j’ai bien répondu à votre question, mais je ne crains pas la concurrence, car sur cet angle d’attaque, il n’y a tout simplement pas de concurrence. La démarche, je le dis encore une fois, est inédite.
En définitive, que cherchez-vous à dire à votre lecteur ? Pour le dire autrement : quel est l’horizon de votre méditation ?
Ça c’est une question intéressante, car tout livre cherche à dire quelque chose, même s’il faut parfois le déceler dans ce qu’il ne dit pas explicitement. Je pense donc en effet qu’un texte est toujours écrit de quelque part et vers quelque autre part, dans « un horizon », comme vous dites. Maurice Blanchot écrivait : « Un livre, même fragmentaire, a un centre qui l’attire ». Eh bien, dans L’esprit rectifié, ce centre se situe, au chapitre 10, dans les pages sur la mort, qui expliciteront la motivation secrète des raisons pour lesquelles j’ai décidé d’écrire ce livre. Le lecteur y comprendra ce qui fait du Rite Écossais Rectifié une authentique voie de réalisation spirituelle et permettra surtout à tous les Frères déjà rectifiés ou en voie de rectification de ne pas cheminer dans l’obscurité d’un rite dont ils ne comprendraient pas les tenants et les aboutissants.
Table des matières
TABLE DES MATIÈRES
PRÉAMBULE 9
I L’ESPRIT RECTIFIÉ 19
II LA LOGE COMME TRACÉ(E) DE LUMIÈRE 33
III LE TEMPS MAÇONNIQUE 55
IV JAKIN ET PHALEG 69
V LE TRAVAIL EN LOGE RECTIFIÉE 87
VI SUR LA MAXIME INAUGURALE DU R.E.R 105
VII LA SYMBOLIQUE DE L’ÉPÉE 141
VIII L’ASSIDUITÉ EN LOGE 153
IX LA FRATERNITÉ 163
X LA MORT RÉPARATRICE 173
XI RECTIFICATION ET LIBÉRATION 189
XII RECTITUDE ET RECTIFICATION 199
TABLE DES MATIERES…………………….. ……219
extrait du livre "L'esprit Rectifié"
LA MORT RÉPARATRICE
Il y a une sentence rectifiée sur le sens de la mort, qui n’appartient pas à proprement parler au rituel, mais qui figure dans la chambre de préparation. Elle est donnée à la méditation de l’impétrant dans son état de profane, c’est-à-dire depuis la résonance du monde, où il se trouve encore, et depuis ses certitudes, qui sont elles-mêmes nées du monde. Car le plan du monde n’est pas celui de l’âme ; les vues y sont même opposées, comme en témoigne cette merveilleuse logique de l’inversion qu’est la doctrine chrétienne. Tout, en effet, y apparaît à l’envers, comme le contrepoint des valeurs naturelles, celles du bon sens et de la sagesse humaine. Que les derniers seront les premiers, que celui qui perdra sa vie la gagnera ou qu’il faille tendre la joue à la première offense, voilà qui a dû dérouter dans un monde judéo-romain, où la sagesse était celle du Talion (pas plus d’un œil pour un œil) et la mesure du mal celle de l’injustice subie. La figure éclatante de cet homme-dieu venant renverser l’ordre du cosmos en prétextant le remettre sur pieds, et enseignant que le mal affecte l’âme de celui qui commet l’injustice et non de celui qui la subit, a dû dérouter en effet et nous déroute encore. C’est que rien n’est plus absurde en apparence que ce que nous enseigna Jésus de Nazareth. Comment oser contrevenir aux lois de la pesanteur et de la logique ? Quelle est la finalité de ce programme insensé pour celui dont le but est de réussir sa vie, c’est-à-dire d’être heureux ? De l’intérieur du monde, cette sagesse ne peut être que folie, elle ne peut mener l’homme qu’à sa ruine. Mais les fous véritables ne sont-ils pas ceux qui bornent leur existence dans le pré carré des certitudes et des occupations mondaines, sans jamais être interpellés par la question du sens et de l’origine ? Ne faut-il pas être fou pour passer sa vie durant dans la cécité du Mystère qui nous donne l’être ? Alors, pour ceux qui reçoivent la grâce de naître dans l’illumination, non du Mystère lui-même, mais simplement de la révélation de sa Toute-Présence, pour ceux-là, « c’est une sorte de folie, que d’être sage parmi les fous » (1). L’illusion, dans laquelle se trouvent les hommes à leur naissance, est telle qu’il faut imaginer ce monde comme sous le voile d’un sommeil, où nous serions tous plongés, prenant le rêve pour la réalité, tant que l’Éveilleur n’aura pas sonné l’heure du relèvement. A ce monde endormi, doit pourtant avoir part celui qui ne dort pas et veille pour le salut des hommes et de toute la Création. Celui-là, par sa prière ininterrompue, se tient dans l’imminence parousiaque de la mort, car ce qui advient avec l’expérience chrétienne, c’est une nouvelle conception de l’eschatologie, au sens où la relation chrétienne authentique à la parousie, à cette seconde venue en présence du Christ, qui manifeste la fin des temps, n’est pas l’attente d’un événement futur, mais l’éveil à l’imminence de cette venue (2). C’est ce rapport-là au temps, et à la temporalité originelle comme avenir authentique, que nous devons désormais intégrer à notre conception de la mort, et c’est aussi pourquoi Léon Chestov, dans La nuit de Gethsémani, reprenant à son compte la formule de Pascal, nous enjoint à veiller sans relâche : « Jésus est à l’agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là » (3). Il faut rester éveillé pour l’accueil de la « vie authentique », nous tenir dans la ferveur de l’imminence parousiaque, car à chaque instant, pour nous, la « mort » est ce que nous appelons « vie », et la « vie » ce que nous appelons « mort ». Opérer cette métanoïa est un tel arrachement à l’ordre établi des choses naturelles, que le premier même de tous les chrétiens, et sans doute le plus fervent d’entre eux, ne surmontera pas l’épreuve de la veille dans l’insoutenable pesanteur de Gethsémani, pas plus qu’il n’aura la force d’accueillir l’appel des trois chants du coq. Ce renversement de l’ordre du monde est chose inouïe, au point que la sagesse qu’il recèle nous apparaisse comme non-sens et folie.
C’est là que prend fin l’enseignement de ce premier degré du Christianisme, qu’on pourrait nommer exotérique, en ce qu’il promet au fidèle une « victoire sur la mort », parce que l’entendement humain n’est tout simplement pas préparé à refuser la disparition de la chair. Promettre de l’emporter sur la mort, c’est faire de la mort l’adversaire par excellence. Je crois que Chestov est aussi tributaire de cet exotérisme, lorsqu’il demande, dans le même opuscule : « Comment tirer le monde de l’engourdissement ? Comment arracher les hommes au pouvoir de la mort ? Qui nous donnera cette grande témérité de renoncer aux dons de la raison, de nous abêtir ? Qui fera que la douleur de Job l’emporte en pesanteur sur le sable de la mer ? » (4). Tout cela demeure encore possible, parce que la mort est pensée du côté de la vie déchue, comme une effraction dans le devenir paisible de l’existence terrestre. Nul ne peut soutenir son idée, ni se la figurer, et c’est pour cela qu’elle effraie et que les hommes tentent de la chasser de leur conscience par des prières de requête ou des dévotions superstitieuses. À ce titre, la formule exotérique a bien des vertus thérapeutiques, mais à l’image d’un placebo, elle induit au pire un effet dont elle n’est pas la cause, au mieux elle aura les vertus apaisantes d’un baume, car elle soulage les symptômes sans guérir les racines du mal. C’est que toute guérison doit passer par l’état de purification du « mourant », car si la mort est le terme de la vie terrestre, ce n’est pas par accident, mais par essence. Elle la porte en elle, plus intimement que le noyau dans le fruit, car la mort, en creux, c’est le visage retourné de la vie. Et fuir la mort, c’est aussi fuir la vie authentique pour se complaire pathologiquement dans ce pis-aller de la vie corrompue, à quoi la chair nous retient désespérément. C’est pourquoi chacune de nos vies ne peut s’accomplir qu’en refusant la mort anonyme, celle qui effraie, car elle est le pendant de la vie anonyme, que nous sommes nous-mêmes dans les ténèbres de la prévarication. Pour cela, il ne faut pas craindre de quitter la vie : la chair est l’amarre qui doit rompre pour gagner la Lumière. L’attention à la mort signe le retour à l’origine enfouie de la vie authentique. C’est le sens que l’on peut donner à la merveilleuse formule du jeune Rilke, que je ne me prive pas de faire chanter dans la belle sonorité de l’allemand : O Herr, gib jedem seinen eignen Tod. Das Sterben, das aus jenem Leben geht, darin er liebe hatte, Sinn und Not (5). Mourir de sa propre mort, c’est accoucher d’une vie qui est aussi la sienne en propre. Cette mort, loin d’être rejetée de la vie terrestre, doit lui être rapportée comme son remède, car si la vie a d’abord été corrompue par le péché d’Adam, ce que nous nommons « la mort » est le stade ultime de ce pourrissement du fruit de la connaissance, qui n’en finit pas en nous de distiller son poison, mais il suffit que le grain daigne mourir, pour que renaisse de ce fruit rejeté, la vie inaltérable du Commencement. La mort annonce ainsi la fin de l’exil et de la pénitence.