Les sources secrètes du REAA - André Kervella

Les sources secrètes du REAA - André Kervella



Bien que le Rite Écossais Ancien et Accepté soit le plus pratiqué de nos jours par les francs-maçons de tous les pays, la question de son origine reste aujourd’hui enveloppée de flou.


On en attribue les premiers fondements à Étienne Morin, qui se serait inspiré d’un système connu de lui en France au début des années 1760. Il aurait transporté ce système aux Antilles, l’aurait transformé, et aurait fait école auprès de disciples suffisamment enthousiastes pour le diffuser sur le continent nord-américain en lui faisant subir d’autres transformations. Sa version presque définitive aurait été fixée en 1801. Trois ans plus tard, il aurait été bien accueilli à Paris. D’où un succès grandissant.


À l’examen des documents d’époque, il n’est pas sûr cependant que Morin joua le rôle qu’on lui attribue. Après sa mort en 1771, il n’est pas sûr non plus que la situation maçonnique aux Antilles et sur le continent américain fut aussi cohérente qu’on le présuppose longtemps après.
André Kervella propose une reconstruction minutieuse des principaux évènements qui ont marqué l’histoire des Frères de cette partie du globe jusqu’au moment où ce rite est adopté par les grands dignitaires de la France devenue napoléonienne.


A l'occasion de la sortie de son livre André Kervella nous a accordé un entretien:


André Kervella, votre prochain livre va certainement faire sensation. Vous y parlez de la genèse (vous préférez dire : l'archéologie) du Rite Écossais Ancien et Accepté, et vous le faîtes d'une façon inhabituelle. Pourriez-vous résumer ce livre en quelques mots, en faire le pitch, comme on dit dans l'audio-visuel ?


Vous me demandez là une chose pratiquement impossible. Résumer ou synthétiser plus de 300 pages en dix secondes n'est pas dans mes capacités. Je dirais simplement qu'à mes yeux le premier haut grade écossais est apparu entre 1722 et 1725 tandis que le REAA voit institutionnellement le jour en 1804

Entre ces deux dates s'écoulent quatre-vingts années environ d'une histoire pleine de rebondissements. C'est la période la plus inventive, sinon en qualité du moins en quantité, de la franc-maçonnerie. Ce n'est pas la plus fascinante, car les toutes premières décennies, pendant le dix-septième britannique le sont davantage. Mais c'est certainement celle où les imaginations se débrident, où l'inventivité s'épanche presque sans limites. La France en est le théâtre majeur. Encore qu'il importe tout de suite de nuancer. La France, oui, comme décor où les principales scènes se succèdent. Mais, les acteurs de premier rôle, du moins au début, ne sont pas des Français. Ce sont des exilés jacobites, en majorité de nationalité écossaise, mais pas exclusivement, d'où l'épithète écossaise assignée aux premiers hauts grades. C'est là une évidence tellement forte qu'elle aveugle les sceptiques et les irréductibles idéologues qui ne jurent que par la tradition strictement anglaise


Vous ne parlez donc pas que du REAA, vous parlez aussi de l'Écossisme en général, de la naissance de tous les hauts grades, dont beaucoup sont encore pratiqués aujourd'hui.


C'est exact. La première partie du livre vaut pour tous les grades dits écossais, quels que soient les régimes ou le rites. Si je centre quand même sur le REAA, c'est bien parce que la plupart des historiens s'accordent, et ils ne peuvent pas faire autrement, sur le fait que ce rite est l'héritier direct et assumé, plus ou moins bien d'ailleurs, du premier système que j'ose qualifier « d'officialisé » par la Grande Loge de France, avec les grades dits de perfection en noyau dur. 

Pour l'essentiel de son dispositif, le REAA s'inscrit dans le prolongement assez naturel des réformes engagées vers 1750 pour tenter de réguler le foisonnement parfois anarchique des grades supérieurs à la maîtrise symbolique. Au cours des années 1780, on verra une autre entreprise de régulation menée par le Grand Orient, et elle donnera le Rite dit Français. Mais elle surviendra donc dans un second temps, et le résultat ne fera que jouer sur les mots, puisque ce Rite Français est a fortiori lui-même de souche écossaise. Cette remarque vaut bien sûr également pour le Rite développé par le baron de Hund en Allemagne.


Mais qu'apportez-vous vraiment de neuf à la connaissance historique ? Chacun sait que le REAA est le rite plus pratiqué au monde, surtout en Europe et aux États-Unis d'Amérique. Les auteurs qui ont déjà publié des études à son sujet sont innombrables. On connaît tout de lui, ou presque. On connaît les circonstances de sa création sur le continent américain, son importation en France par d'anciens colons des Antilles et le rayonnement qu'ils lui ont donné. On connaît ses grades, ses symboles, sa doctrine, ses variantes selon les pays. 


On connaît tout : vous croyez ? Ces dernières années, après avoir écrit L'Effet Morin, il y a une question qui m'a longtemps laissé perplexe, et je n'ai trouvé la réponse que récemment. Cette question est la suivante : qui a créé le grade de Prince de Royal Secret ? 

Quand on feuillette les dictionnaires et encyclopédies, on est placé devant une énigme. Quelques audacieux prétendent sans aucune preuve documentée qu'il faut en attribuer la responsabilité à Morin lui-même, moyennant quoi il serait un personnage clef, un précurseur génial. Dans la biographie que j'en ai proposée en 2009, sans d'ailleurs diminuer les mérites personnels de ce Frère éminent, j'ai démontré que ce ne peut pas être le cas. Morin n'a jamais été qu'un transmetteur de l'intégralité du système formalisé à Paris au plus tard en 1760-1761, et dont la plupart des éléments étaient d'ailleurs découverts dix ans plus tôt. Loyal et scrupuleux, il ne lui a rien ajouté, ni rien retranché. Le Royal Secret, grade sommital de la hiérarchie conçue par des dignitaires de la Grande Loge de France sinon sous l'autorité directe du comte de Clermont, du moins sous celle de son substitut général Chaillon de Jonville, n'est pas dû à Morin. Alors, à qui ?


La question m'a longtemps préoccupé. Et j'ajoute que je me suis aussi demandé pourquoi certains textes du REAA, provenant donc des Parisiens fréquentés par Morin, font allusion au roi Frédéric II de Prusse et à la ville de Berlin, bien qu'on soit dans l'impossibilité de les rattacher concrètement à ce monarque ou à cette capitale. 

Or, le voile s'est levé quand j'ai approfondi mon enquête sur l'animation des années 1750-1755 et quand, passant de la biographie de Morin à celle de Hund, je me suis aperçu qu'un jacobite de grande envergure, quoique négligé par les historiens de la Maçonnerie, doit être reconnu comme ayant exercé une influence décisive sur ses contemporains. Il s'agit de George Keith, comte Marischal, longtemps confondu avec Heinrich-Wilhelm Marschall von Bieberstein. 


C'est lui qui invente le Rose-Croix en 1739, puis qui rédige en 1751 et communique à Hund la fameuse patente l'autorisant à fonder une loge écossaise sur ses terres, avec la symbolique templière en point focal. Mais c'est lui qui, nommé ambassadeur de Frédéric II à Paris au moment où il encourage Hund, entretient ensuite d'excellents rapports avec les dignitaires de la Grande Loge gouvernée par Clermont, ainsi qu'avec les hauts responsables militaires du parti jacobite. Les traits dominants de son itinéraire sont alors les suivants : franc-maçon jacobite initié tôt, connaisseur des premiers hauts grades, réfugié en Prusse auprès de son frère James qui s'y illustre comme général, entré officiellement au service diplomatique du roi Frédéric qu'il promet de servir le plus loyalement possible sans renoncer à sa fidélité envers les Stuart, il passe presque trois années à Paris et y exerce encore ses talents d'innovateur en matière de chevalerie maçonnique.  Je viens de dire qu'on lui doit le Rose-Croix en 1739. Une quinzaine d'années auparavant, il a aussi fondé l'Ordre de Toboso, plus axé vers la convivialité jubilatoire. Maintenant, non sans entretenir des relations compliquées avec le prince Charles-Édouard qui veut lui confier la tête d'une expédition militaire, il inspire donc une seconde nouveauté au cœur de l'Écossisme
Autant vous confier que j'ai regardé à deux fois avant de tirer la conclusion qu'il fournit la réponse à la question posée. Deux fois, et même davantage, puisque mon premier mouvement a été celui de l'incrédulité. Comment le même homme peut-il être à la fois être le promoteur de ce qui sera plus tard la Stricte Observance Templière, et comment le créateur du Rose-Croix et du Royal Secret ? Il m'a fallu croiser des dizaines d'archives, déborder vers le contexte sociopolitique, suivre pas à pas Marischal, ceux de ses amis de la diaspora jacobite et de ses hôtes français, pour être sûr du fait. Je sais bien que mon analyse va provoquer quelques remous dans le microcosme des vulgarisateurs, mais elle est solidement étayée.


Au début des années 1750, nous sommes loin de la naissance du REAA. Iriez-vous jusqu'à dire que ce comte Marischal l'a prévue ?


Non, bien sûr, rien de prévu ! Je me garde bien d'insinuer que n'importe quel protagoniste du 18e siècle est capable d'anticiper sur ce qui va se passer au début du 19e. Je crois d'ailleurs nécessaire de rappeler que l'Ordre du Royal Secret ne gère que le grade du même nom, et certainement pas l'ensemble hiérarchisé de la Maçonnerie dite de Perfection, comme on peut le lire dans certaines études hâtives qui participent plus des masonic fictions que de la recherche rigoureuse. Je veux signifier seulement que le REAA et donc, avant lui, le système connu à Paris au moment où Morin en a connaissance sont les produits d'un éclectisme ou syncrétisme plus ou moins hasardeux et plus ou moins contrôlé, dont on peut discerner les sources principales. 

C'est ainsi que, juste avant que Marischal ne prenne ses fonctions à Paris, on peut repérer au cœur des régiments écossais et irlandais levés en France afin de participer à une expédition militaire projetée outre Manche, expédition qui n'aura d'ailleurs pas lieu, des francs-maçons déjà possesseurs des hauts grades actuellement cités dans les nomenclatures du REAA, et évidemment cités aussi autrefois dans le système connu par Morin. À l'exception du Royal Secret, donc. On en est certain grâce aux témoignages concernant les régiments d'Ogilvie, qui était écossais, et de Dillon, qui était irlandais. Dans ces deux régiments, comme des preuves documentées permettent de l'établir, la pratique de l'Écossisme est bien établie avant 1750.


Pour ce qui concerne le régiment de Dillon, vous parlez de la loge La Bonne Foi. Son existence n'est-elle pas contestée avant les années 1770 ?
Contestée à tort. Il existe un diplôme maçonnique de 1751, signé par le lieutenant-colonel du régiment, Jacques Nihell, qui est irrécusable. Ce diplôme permet de dresser la nomenclature d'au moins une dizaine de grades qui, à certains égards, forment le socle du système à venir. Quand le Grand Orient reconnaît dans les années 1770 l'ancienneté de cette loge, considérant qu'elle a pu travailler à l'Orient de Saint-Germain-en-Laye à la fin du dix-septième siècle, je veux bien qu'un historien hypercritique soit frustré de n'avoir pas de parchemins authentiques à  sa disposition. Mais, pour ce qui concerne l'Écossisme, on n'a pas besoin de remonter si loin. Par chance, l'archéologie des hauts grades est plus documentée que celle des grades symboliques.


Mais alors, que dire de Morin ? Dans la grande majorité des études sur le REAA, il est tout de même présenté comme un personnage central !


Comme je l'ai dit tout à l'heure, Morin est un transmetteur. C'est lui qui exporte vers les Antilles le Rite dit de Perfection organisé à Paris vers 1760, à partir d'un ensemble de grades préexistants. Le paradoxe à affronter, s'il en est un, s'exprime à peu près de la manière suivante.
Ce Rite est formaté, si j'ose dire, par les dignitaires qui gravitent à Paris autour du grand maître, le comte de Clermont. Si Clermont n'y participe pas directement, son substitut Chaillon de Jonville en est l'un des principaux instigateurs. Morin en est instruit avant de revenir à Saint-Domingue où il a ses affaires commerciales. Or, des conflits récurrents entre Vénérables parisiens déstabilisent gravement le fonctionnement de l'obédience française jusqu'à la mort de Clermont qui survient en 1771. L'un des effets de ces conflits est de provoquer le délitement du Rite en France, et les réformes poussées par les rénovateurs du Grand Orient n'y sont pas étrangères. Cependant, aux Antilles, Morin l'a aussi communiqué à des Frères Britanniques de la Jamaïque, dont Henry Francken, si bien que c'est grâce à celui-ci qu'il est conservé avant de trouver la fortune qu'on connaît sur le continent américain. Encore que ce soit le retour aux sources parisiennes, en 1804, qui en assure l'essor le plus énergique.
Donc, sans Morin, il n'y aurait pas eu Francken, et il n'y aurait pas eu, non plus, ses successeurs américains qui ont inspiré le comte Auguste de Grasse-Tilly, cité à bon droit comme ayant joué un rôle essentiel dans le Paris maçonnique de l'Empire napoléonien. Morin mérite sa place au Panthéon des Écossais, mais non pas comme un inventeur, un innovateur, un concepteur, ou je ne sais quoi d'analogue, mais comme un fidèle communiquant qu'une conjoncture qu'il ne pouvait prévoir met au-devant de la scène dans les colonies antillaises quand les acteurs historiques de la métropole s'éclipsent. J'ajoute d'ailleurs que tous ces acteurs ne se retirent pas sans laisser de traces. On en connaît qui, dans les années 1780, continuent à arborer les grades des années 1760, comme les princes de Rohan qui dirigent à Bouillon La Parfaite Harmonie.


Vous consacrez plusieurs chapitres à la situation des loges de Saint-Domingue entre la mort de Morin et la Révolution des esclaves qui obligent de nombreux Frères à migrer vers les États-Unis. Outre  Grasse-Tilly, on reconnaît parmi eux Germain Hacquet, Jean-Baptiste de Lahogue, Antoine Mathieu-Dupotet, Antoine Bideaud, qui prennent eux aussi une part importante à l'histoire du REAA. Que peut-on en dire sans être trop long ?


Dans une réponse qui se doit d'être synthétique, il est difficile d'entrer dans des nuances ou des détails dont j'estime qu'on ne peut pas faire l'économie. Vous me demandez là encore un exercice pour le moins périlleux. Mais je veux bien m'y livrer, sachant que mon ouvrage permettra de toute façon aux lecteurs de compléter ce que j'en dis ici. 
En réalité, parmi ceux que vous citez, seuls Grasse-Tilly et son beau-père Lahogue sont les seuls à être impliqués dans les manœuvres ou manipulations qui, à la fin du 18e siècle et au début du 19e vont modifier le rite venu aux États-Unis par l'intermédiaire de Morin et de Francken. Ce rite n'est pas encore le RÉAA. On l'appelle plutôt le Rite en 33 degrés. Il ne change de nom qu'une fois Grasse-Tilly revenu en France au cours de l'année 1804. Hacquet, notamment, ne s'y rallie qu'à ce moment-là. Avant, il n'était pas du tout concerné, ce qui relativise considérablement le portrait qui en est fait dans certains dictionnaires biographiques. Les archives des loges de Saint-Domingue, justement, sont claires là-dessus. Et celles des francs-maçons français exilés à Charleston, New-York ou Philadelphie, pendant les troubles insurrectionnels, apportent des confirmations non équivoques. Mais je ne voudrais pas donner l'impression de ne m'intéresser qu'à trois ou quatre personnages marquants, dont les noms sont restés dans les compilations. J'essaie aussi de restituer l'ambiance des loges coloniales en cette fin de siècle si tourmentée. Cela, me semble-t-il, n'avait jamais encore été tenté. 


Vos dernières pages sont consacrées à la notion de régularité. Le RÉAA peut-il être considéré comme un rite régulier ? Les Suprêmes Conseils sont-ils des institutions régulières ? Je vous pose ces questions, un peu naïvement peut-être, parce que vous montrez aussi que la petite équipe franco-américaine qui l'invente n'hésite pas à faire usage de faux documents.


Ah oui ! Les questions de régularité se posaient avant que le RÉAA existe, mais elles ont pris une forte intensité en France depuis que la Grande Loge Unie d'Angleterre a cru bon de publier en 1929 des Basic Principles, autrement dit des Principes fondamentaux (ou de base), d'après lesquels une obédience peut être jugée régulière ou irrégulière. Récemment en 2014 et 2015, on a vu deux auteurs hexagonaux se flattant d'avoir une réputation internationale polémiquer à ce sujet, sans se grandir ni l'un ni l'autre. Pour ma part, j'ai tendance à considérer qu'on a affaire au problème le plus absurde qui soit, à tel point qu'il pourrait être bienvenu dans une anthologie en hommage à Kafka mâtiné de Courteline.
En effet, le premier principe de base postule qu'une Grande loge ne peut être déclarée régulière que si elle a été fondée par une autre Grande Loge elle-même régulière ou au moins par trois loges particulières qui le sont elles-mêmes. Ce premier principe s'intitule Régularité d'origine. Or, il n'a aucune validité, puisqu'il est énoncé par une Grande Loge dont la propre origine est irrégulière. Elle se prétend fondée en 1717, mais aucune Grande Loge ne l'a précédée, et les quatre loges particulières qui auraient participé à son érection ne peuvent évidemment pas être déclarées elles-mêmes régulières. Non seulement on ignore leur passé, mais c'est aussi la caractéristique de la Grande Loge londonienne après sa fondation de juger la régularité des loges sous son obédience à partir des constitutions par elles délivrées. En bref, avant d'exister, cette Grande Loge n'a pu constituer aucune loge, c'est une évidence imparable. Donc, elle doit son existence à des loges irrégulières et ne peut pas, selon ce principe de 1929, s'arroger le pouvoir d'énoncer des critères de cette nature.
Du point de vue obédientiel, la régularité s'acquiert le plus prosaïquement du monde par la respectabilité. Ni plus, ni moins. La respectabilité se construit au fil des ans. Non seulement les loges subordonnées conviennent que leur Grande Loge la mérite, mais aussi d'autres Grandes Loges nationales ou étrangères. Cela suppose des méthodes de gouvernance cohérentes et l'attachement à des valeurs qui ne heurtent pas l'idéal de fraternité. 
Sans aucun doute, l'historien est toujours critique quand il remarque des trucages quelque part et des revendications de légitimité démenties par l'analyse des archives. Mais l'histoire de la franc-maçonnerie est sur ce point analogue à celle des sociétés. À son échelle, elle connaît des coups d'État, des révolutions, des forfaitures, des changements de régime, des élans réformistes, des dynamismes fédérateurs, et bien d'autres évènements encore. Qu'est-ce qui fait qu'un Français d'aujourd'hui respecte vaille que vaille la constitution de la cinquième République, et un Britannique celle de la monarchie des Windsor ? Je suggère aux polémistes de répondre à cette question avant de s'affronter. 
Autrement dit, en m'intéressant aux sources secrètes du RÉAA, et en relevant des anomalies flagrantes, comme d'autres auteurs ont d'ailleurs pu le faire avant moi, il me semble sans intérêt de risquer une aventure dans l'impasse labyrinthique de la régularité. En revanche, et c'est ce qui justifie mon présent ouvrage, l'enjeu est capital de discerner les différentes filiations qui, envers et contre tout, ont rendu ce Rite possible et viable. C'est là que des surprises inattendues, non soupçonnées jusqu'à présent, vont certainement provoquer des irritabilités chez des confrères enfermés dans un sommeil dogmatique. Mais je ne m'adresse pas à eux. Je m'adresse aux lecteurs dont le désir est de stimuler leur réflexion à partir de documents longtemps ignorés ou négligés.


Ce pourrait être le mot de la fin. Une dernière question, quand même. N'est-ce pas le principe de la croyance en Dieu qui est au centre des débats actuels sur la régularité ?


Vous avez raison. Sauf que les francs-maçons du 18e siècle et du début du 19e ne se la posaient pas. Donc, il me paraîtrait méthodologiquement inacceptable de l'injecter rétroactivement dans leur histoire. Je concède volontiers que les trop fameuses Constitutions d'Anderson recommandent voire exigent un acte de foi. Mais Anderson n'est-il pas l'un des premiers truqueurs de l'historiographie ? Pour traiter valablement votre question, il faudrait écrire un autre livre. Chiche ?

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